À l’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Rouen en 1843, la gare de Rouen avait été construite à Saint Sever, sur la rive gauche de la Seine. Mais, cette même année, le prolongement de la ligne vers Le Havre et Dieppe a été décidé.
Venant de Paris, le tracé impose la construction d’un pont pour franchir la Seine, suivi du percement d’un tunnel sous la colline Sainte Catherine, avant d’arriver à la nouvelle gare rive droite et poursuivre vers le littoral.

Un pont en bois de huit arches posant sur des piles en maçonnerie, prenant appui sur l’île Brouilly et comportant une passerelle piéton, a donc été construit. Il a été mis en service le 20 mars 1847. Il a pris le nom de « Viaduc d’Eauplet », du nom du quartier de Bonsecours où il aboutit rive droite. Côté rive gauche, c’est juste sur la limite des communes de Rouen et de Sotteville-lès-Rouen qu’il a été implanté.
Il est aussi souvent appelé « Pont aux Anglais » puisque les ouvriers qui l’ont construit étaient venus d’Angleterre avec William Buddicom, pionnier dans le domaine.
Mais, quelques mois plus tard, le 25 février 1848, les deux premières arches côté rive gauche sont incendiées par des ouvriers sottevillais et rouennais lors d’émeutes anti-anglais, aux cris de « A bas les Anglais », « A bas le Chemin de Fer ». En effet, pour la construction et le fonctionnement de la ligne et des ateliers sottevillais, ceux-ci ont importé leurs technologies ferroviaires, le capitalisme impitoyable, beaucoup de personnel très qualifié, au détriment des ouvriers français qui, eux, ont des conditions de travail rudes et une vie misérable. Parmi les émeutiers, il y a aussi ceux qui ne digèrent pas la concurrence du train, qui leur fait perdre leur travail, par exemple les mariniers ou les conducteurs de diligence.
Cette attaque se situe plus globalement dans la Révolution européenne de 1848. En France, la Monarchie de Juillet de Louis Philippe se termine, la 2ème République est proclamée.
Le pont a été reconstruit en deux mois.
Cependant, en 1856, la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest décide de remplacer entièrement les pièces de bois, par des éléments de fonte et d’acier, afin de rendre le pont moins vulnérable aux incendies. Les travaux ont été réalisés en deux étapes, en remplaçant chaque voie séparément pour mener à bien le chantier sans interrompre la circulation des trains.
Le pont est devenu intégralement métallique :

Mais, en 1886, il a été constaté que la fonte des arches présentait d’innombrables fissures ou même cassures.
La sécurité n’étant plus assurée, des renforcements partiels ont été mis en place.
En 1912 la décision de le rebâtir entièrement a été prise.
Cette photo montre la construction du nouveau pont, commencée par un étayage provisoire qui allait soutenir le tablier.

Le nouveau viaduc d’Eauplet, celui que nous connaissons toujours aujourd’hui, a été construit à quelques dizaines de mètres en amont de l’ancien. Il a été opérationnel à partir de 1914.
Mais c’est à ce moment qu’intervient la curiosité qui compose l’histoire du pont, ou plutôt DES ponts aux Anglais :
Avec le déclenchement de la Première Guerre Mondiale, l’ancien pont a été conservé pour pallier d’éventuelles destructions du nouveau. Il n’a été démoli qu’en 1920.
Ainsi de 1914 à 1920 les deux Ponts aux Anglais coexistaient côte à côte !

Vu d’avion, on retrouve bien les deux ponts. Au premier plan, les prairies sottevillaises et les chantiers navals deviendront plus tard la zone industrielle.

En 1922, l’ile Brouilly, sur laquelle le pont s’appuie, a été rattachée à l’île Lacroix par comblement du bras de Seine qui les séparait.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, alors que les Allemands sont aux portes de Rouen, le Génie français fait sauter deux des travées du pont le 9 juin 1940, il a été réparé en mai-juin 1941 :

Par la suite, plusieurs bombardements lui causent des dommages mineurs, jusqu’à celui du 28 mai 1944 qui provoque son effondrement dans la Seine. Il ne servait plus alors qu’aux piétons et quelques éventuels véhicules sur un plancher de fortune.


En janvier 1945, le relevage a été entrepris et c’est en septembre de la même année que la circulation des trains a pu reprendre, lentement d’abord, le temps de la complète réparation.

Sacré boulot de mémoire – Respect !!
Effectivement un sacré boulot heureusement qu’il existe encore des chercheurs . C’est un devoir de memoire et je dis bravo
Merci
Joli morceau de l’histoire sottevillaise! Bravo à vous!
Merci pour ce morceau d’histoire Sottevillaise, beau travail.
Très très intéressant ! Merci beaucoup !
Merci pour toutes ces informations
Bonjour. Le bombardement est daté du 28 mai 1944. Ne serait-ce plutôt du 28 avril 1944 ? En tout cas merci pour ce dossier.
Bonjour,
Après vérification, c’est bien le 28 mai 1944 que le pont est tombé. C’était d’ailleurs le dimanche de Pentecôte.
Le 28 avril 1944 il n’y a pas eu de bombardement. Vous confondez peut-être avec le 18 avril ? Le plus gros bombardement a effectivement eu lieu dans la nuit du 18 au 19 avril 1944 (561 morts à Sotteville et les 2 tiers le la ville démolis), mais le pont aux Anglais, bien qu’endommagé, ne s’est écroulé qu’après.
vous avez tout à fait raison ! Autant pour moi…
Merci à tous pour vos petits mots encourageants !
Merci pour ces informations.
Savez-vous s’il dispose d’une passerelle permettant de le traverser à pied comme le viaduc d’Orival ?
Le pont en bois d’origine en avait une. Elle a visiblement été abandonnée lors de la transformation. Le pont actuel n’en a pas.
Très belle étude bravo !! La Kübel Wagen qui franchit le pont a l’air sacrément abimée! On voir que les allemands sont en déroute au moment où la photo a été prise
Merci pour cet excellent article
Mon père était en service ce jour .ce sont 2 Moskitos Anglais qui ont largués leurs bombes , ils l’ont pris dans sa longueur se redressant au dernier moment pour éviter la colline Sainte Catherine