La Reconstruction d’après-guerre

Article publié en 2018, mis à jour en 2024

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la zone ferroviaire était utilisée par les Allemands pour leurs déplacements. Elle est devenue une cible pour les Alliés, dans le but de ralentir les occupants lors du Débarquement de Normandie qui se préparait. Les bombardements, en particulier celui du 19 avril 1944, ont bien sûr atteint leur objectif, mais aussi les quartiers d’habitation qui le jouxtaient : les deux tiers de la ville de Sotteville-lès-Rouen ont été détruits et le centre-ville anéanti !

▲ La place de la mairie, dont on devine les restes à gauche, et l’église Notre-Dame de l’Assomption constituait l’hyper-centre de Sotteville

À la Libération, il faut reconstruire la ville en ruines, essentiellement aux abords des voies ferrées. Philippe Lanoux, maire, entreprend le colossal projet. Il est impératif aussi de redonner rapidement une habitation à des milliers de familles, résidant dans des baraquements provisoires : on en compte 574 à Sotteville, d’autres sont parties se réfugier à la campagne.

Raoul Dautry, ministre de la Reconstruction, nomme l’architecte-urbaniste Marcel Lods à Sotteville. Avec son complice Marc Alexandre, il repense l’ensemble de la ville en appliquant la Charte d’Athènes, publiée en 1941 par Le Corbusier. Elle préconise l’aménagement d’une ville en 4 domaines d’activité distincts : « travailler, habiter, circuler, se récréer ».

Or, à Sotteville, le centre-ville et le lieu de travail, les ateliers d’entretien ferroviaires, restaient trop proches géographiquement, cette proximité empêchait la séparation entre temps de travail et temps de vie personnelle. Pour permettre cette différenciation, il est décidé que le centre-ville ne sera pas reconstruit au même endroit, mais 500 mètres plus loin, à l’emplacement du château des Marettes.

Le projet de la construction de la « Zone Verte » sur une grande partie de l’ancien centre-ville est lancé.
Toujours en application de la Charte d’Athènes, les appartements de ces grands immeubles y sont traversants : orientés Est-Ouest, la lumière du soleil y pénètre toute la journée. Confortables, ils bénéficient de cuisine aménagée avec passe-plat, pièce à vivre sans cloison entre la salle à manger et le salon, buanderie et séchoir privé, « bloc-eau » avec douche et toilettes.
Les immeubles occupent seulement 5,5% de la surface du terrain, laissant un grand espace vert pour « se récréer ».

En 1946 le chantier est lancé avec l’immeuble Anjou, mais les débuts s’avèrent difficiles par manque de techniques, de matériel et de matériaux. Deux prototypes, plus petits, sont construits rue Fouache.

En 1947, Roland Tafforeau est élu maire. Il le restera jusqu’en 1983, ce qui lui vaudra le surnom de « Maire de la Reconstruction ».

Le chantier de l’immeuble Anjou redémarre en 1949, pour se terminer l’année suivante. Puis les immeubles Bourgogne, en 1950, et Champagne, en 1954, voient le jour, tous trois appelés « les Garibaldi », puisqu’ils sont construits sur cette rue.
On notera que les noms alloués aux immeubles renvoient à des régions françaises dont l’ordre alphabétique correspond aussi à l’ordre de construction : Anjou, Bourgogne, Champagne.

▲ Les immeubles Anjou, Bourgogne et Champagne sont terminés. À droite de la photo, prise par Marcel Lods lui-même, on observe les restes du « vieux Sotteville », qui seront «balayés » pour poursuivre la création de la Zone Verte.

On peut noter que, dans le même temps, Marcel Lods et Marc Alexandre conçoivent le quartier du Château Blanc à Saint-Étienne-du-Rouvray.

1954 marque un tournant dans la construction de la Zone Verte : Marcel Lods confie à Marc Alexandre la suite du chantier, puisqu’il est nommé architecte urbaniste du gouvernement de Guinée à Conakry.
Le ministère de la Reconstruction estime que le réagencement n’est pas assez rapide et que les immeubles déjà construits ne concentrent pas suffisamment d’appartements. Le relogement des familles est urgent, et le manque de moyens financiers du ministère ne permet plus d’appliquer la Charte d’Athènes aux immeubles suivants, avec, entre autres, l’abandon des appartements traversants. Leurs fenêtres donneront désormais sur un seul côté des immeubles.

En 1961, l’immeuble Flandres est terminé ; puis, de 1962 à 1965, les trois derniers immeubles, Gascogne, Touraine et Dauphiné sont édifiés, portant toujours des noms de région, sans respect de l’ordre alphabétique, cette fois.
À la place du Touraine, Lods avait prévu, sur ses plans, une autre barre qui s’est transformée, au dernier moment, en tour.

▲ Les immeubles Flandres, Gascogne, Touraine. Le Dauphiné est encore en construction sur cette photo de 1964. De l’ancien centre-ville, seule l’église Notre-Dame de l’Assomption a été reconstruite

▲ Au total, dans cet ensemble, aujourd’hui renommé « Espace Marcel Lods », ont été élevés 7 immeubles : Anjou, Bourgogne, Champagne, Flandres, Gascogne, Touraine, Dauphiné, avec une capacité totale de 1139 logements ainsi que 2 écoles

Le parc des Marettes ayant donc été choisi par Marcel Lods pour construire le nouveau centre-ville, le château est démoli en 1961 pour réaliser la nouvelle place de l’Hôtel de Ville, que l’architecte a voulu carrée, avec des commerces sur 3 côtés.

▲ Le château des Marettes en 1959, très peu de temps avant sa démolition

Malgré l’absence de l’ancienne mairie, démolie en 1944, le marché a continué à se tenir sur cette place jusqu’en 1959, date à laquelle, il a dû déménager pour permettre la poursuite de la construction de la Zone Verte. Mais la nouvelle place de l’Hôtel de Ville n’était pas encore prête… C’est pour cette raison qu’il a provisoirement été installé dans l’allée centrale du Bois de la Garenne et avenue de la Libération. En 1962, il s’implante sur la nouvelle place.

▲ Le marché dans le Bois de la Garenne. En arrière-plan, la mairie provisoire avait été implantée dans l’enceinte de l’Hospice Civil du Bois-Petit

En 1967, l’ILN, Immeuble à Loyer Normal, « La Garenne », donnant sur la place de l’Hôtel de Ville vient compléter le parc de nouveaux logements, avec 120 appartements supplémentaires.

De retour, Marcel Lods termine sa mission à Sotteville avec le nouvel Hôtel de Ville, qui n’a été inauguré qu’en 1971. Il est le symbole de la fin de la Reconstruction, Roland Tafforeau ayant promis : « La Maison Commune sera reconstruite quand tous les Sottevillais en auront une ».

▲ La nouvelle place de l’Hôtel de Ville un jour de marché en 1970. Elle est bordée de commerces sur 3 côtés. L’ILN « La Garenne » est en haut de la photo. L’Hôtel de Ville, tout neuf, n’est pas encore inauguré.

« Circuler », un des points fondamentaux de la Charte d’Athènes, impose de profonds changements : en effet, la ville de Sotteville-lès-Rouen n’était jusqu’à présent constituée que de petites rues, débouchant sur d’autres ruelles, en formant des angles peu fonctionnels. Seule l’étroite continuité des rues de Paris et Pierre Corneille permettait de traverser Sotteville d’un bout à l’autre, puisque c’est l’axe historique d’une ancienne voie romaine, au bord de laquelle Sotteville a pris naissance au XIè siècle.

Le visionnaire Marcel Lods, pressentant une circulation automobile grandissante, crée de grands axes traversants et fluides :
– Une nouvelle partie de la rue Léon Salva est percée pour rejoindre la rue Ledru-Rollin.
– La rue Pierre Corneille est prolongée pour contourner la trop étroite rue de Paris.
– La rue Garibaldi est déviée pour rejoindre la rue Hyacinthe Ménagé, aujourd’hui nommée Mendès-France, sur ce tronçon.

Pour les plus curieux d’entre vous, voici maintenant, mises en parallèle et cadrées à l’identique, une photo aérienne prise en pleine Reconstruction et une photo actuelle. Elles vous permettront de retrouver tous les éléments cités précédemment et de constater les transformations de la ville, qui ont eu lieu essentiellement dans ce secteur :

▲ En 1951, les immeubles de la Zone Verte commencent tout juste à sortir de terre. Vous pouvez ouvrir cette photo en grand format et sans les indications

▲ Avec cette photo de 2022, la comparaison avant/après est flagrante. Les trois grands axes de circulation créés pendant la Reconstruction sont mis en valeur

En conclusion, il ressort que le fruit de la Reconstruction est le déplacement du centre-ville, et que la pièce maitresse en est l’Espace Marcel Lods.

On peut cependant noter que les « nouveaux quartiers » Buisson et Gadeau de Kerville, plus extérieurs et pris sur des terres non-urbanisées, ont aussi été aménagés dans le cadre de la Reconstruction, pour pallier le manque de logements.
Plus généralement, c’est l’ensemble de Sotteville qui a dû être reconstruit et repensé, en de nombreux endroits.

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5 commentaires

  1. Bonjour,
    On perçoit bien toute la violence de l’intervention urbaine sur le tissu ancien ! On touche la toutes les limites de l’application quasi dogmatique des préceptes de la Chartre d’Athènes et notamment de l’orientation est/ouest des façades…

    • En formation sur l’architecture du XXeme, j’ai appris que l’orientation influait sur la taxe d’habitation.
      Les appartements orientés est/ouest payaient plus cher du fait de cette charte considérant qu’au niveau hygiène, au vu de l’orientation et de l’ incidence sur l’aération c’etait le top du top.
      La formatrice nous informant que c’était toujours d’actualité…
      Je n’ai pas de raison de remettre en cause ces propos. Peut-on me confirmer ces derniers ?

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