Le Chemin de Fer à Sotteville : une institution !

En décembre 1845, il y a tout juste 180 ans, les ateliers ferroviaires Buddicom ouvraient à Sotteville-lès-Rouen.
C’est donc l’occasion de rappeler l’histoire cheminote, qui a façonné la ville…


L’ingénieur anglais Joseph Locke, après avoir construit plusieurs lignes
ferroviaires en Angleterre, réalise la ligne Paris-Rouen. Le chantier débute en 1841, et nécessite 10000 ouvriers, dont la moitié d’anglais.
Puis, il fait venir le constructeur de matériel ferroviaire William Buddicom pour fabriquer les locomotives, les voitures et les wagons. Associé à l’ingénieur William Allcard, ils créent leur société qui s’installe au Petit-Quevilly en août 1841, à l’ancien couvent des Chartreux. Elle va employer 500 personnes.

Le 3 mai 1843, la ligne de chemin de fer Paris St Lazare – Rouen St Sever, est inaugurée. Les trains le plus rapides mettent 3h50 pour faire le trajet, mais il fallait 12 heures avant le chemin de fer ! Avec la ligne Paris-Orléans construite en même temps, ce sont les deux premières grandes lignes de chemin de fer mises en service en France.

Mais, devoir acheminer avec des chariots tirés par des chevaux l’imposant et lourd matériel roulant, de Petit-Quevilly jusqu’à la gare Saint-Sever, est un problème majeur.
C’est ainsi que, à partir de 1844, les ateliers Allcard-Buddicom transférés à Sotteville, de chaque côté des voies de la ligne Paris – Rouen Saint-Sever, à l’emplacement d’une ancienne forge. La totalité du transfert est achevée en décembre 1845.

Une des toutes premières locomotives construites à Sotteville, la Buddicom 111

▲ Une des toutes premières locomotives construites à Sotteville, la Buddicom 111, ici au musée ferroviaire de Mulhouse.

Ils obtiennent rapidement les marchés de Dieppe, Caen, Lyon et Bordeaux, ce qui cause une très forte expansion de l’entreprise.
Jusqu’à cette date, Sotteville-lès-Rouen est tournée essentiellement vers de textile. Mais l’ouverture de la ligne ferroviaire Paris-Rouen en 1843 et l’installation des ateliers Allcard-Buddicom en 1845, marquent un tournant pour l’industrie sottevillaise, entièrement tournée à partir de cette date vers de Chemin de Fer. La ville se transforme alors en cité cheminote et sa population triple en 30 ans.

Vue à 180° des ateliers Buddicom de Sotteville-lès-Rouen

▲ Vue à 180° des ateliers Buddicom vers 1900. On constate à l’arrière-plan que la ville y est accolée. Elle vivait au rythme des ateliers. ► Agrandir

Les ateliers Buddicom en 1924 - Sotteville-lès-Rouen

▲ Les ateliers Buddicom en 1924. De nouveaux bâtiments sont ajoutés au fur et à mesure du développement de l’entreprise

Le 20 mars 1847, la ligne de chemin de fer Rouen-Le Havre, en prolongement de la ligne Paris-Rouen est mise en service. Pour ce faire, il a fallu construire le Viaduc d’Eauplet, pont de bois, ancêtre du pont métallique mis en service en 1914, ainsi que le tunnel sous la colline sainte Catherine, pour rejoindre la nouvelle gare de Rouen rive droite, rue Verte, ancêtre de l’actuelle.

À Sotteville, la crise de 1848 se cristallise contre les Anglais qui ont importé leurs technologies ferroviaires, le capitalisme impitoyable, beaucoup de personnel très qualifié, au détriment des ouvriers français qui, eux, ont des conditions de travail rudes et une vie misérable. Dans cette révolte, ces derniers saccagent les gares Saint Sever et rue Verte, et incendient les deux premières piles du pont en bois, depuis surnommé « Pont aux Anglais », puisque ce sont eux qui l’ont construit. Parmi les émeutiers, il y a aussi ceux dont la concurrence du train leur fait perdre leur travail, par exemple les mariniers ou les conducteurs de diligence.

Sortie des ateliers Buddicom à Sotteville-lès-Rouen

En 1854, à la suite du retrait d’Allcard, la société est transformée en « Buddicom et Cie ». Le réseau ferré est cédé à la Compagnie des Chemins de Fer de l’Ouest en 1856, par fusion des petites compagnies propres à chaque ligne et chaque gare. Il y en avait quatre à Rouen. En 1860, les ateliers Buddicom sont rétrocédés à la Compagnie de l’Ouest avec ses 2000 ouvriers. Même si on a continué à les appeler « Buddicom », c’en est fini de l’activité de William Buddicom comme ingénieur. La compagnie assure maintenant l’entretien et la réparation du matériel seulement, l’industrie française de construction de matériel de traction s’étant considérablement développée.

Les ateliers s’agrandissent sur le site de l’ancien cimetière de Sotteville de 1880 à 1885. À cette occasion, la ligne de chemin de fer est déviée pour contourner les ateliers, afin qu’elle ne les traverse plus. Lors de ces mêmes travaux, la gare voyageurs de Sotteville est construite. Le Dépôt des locomotives vient compléter les infrastructures en 1883.

Quant à la gare de triage, elle est créée en 1886 sur les prairies sottevillaises. Elle sera modernisée en 1911, 1928, après-guerre, puis 1966 avec l’automatisation et la création d’un second faisceau, à l’emplacement des jardins ouvriers.

Gare de triage de Sotteville-lès-Rouen

▲ Sur la droite de cette photo de 1960, les jardins ouvriers seront bientôt sacrifiés pour la construction d’un second faisceau de triage

L’Etat français rachète la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest le 1er janvier 1909, qui devient le Réseau de l’Ouest-Etat. En 1938 les divers réseaux français sont regroupés sous le sigle SNCF.

Les ateliers connaissent des agrandissements réguliers, et lorsque, la « Compagnie de l’État » prend le contrôle, il n’y a plus de place pour agrandir. De plus, la prise en charge des locomotives plus grandes qu’au siècle précédent et l’augmentation du nombre de réparations nécessitent le soulagement des ateliers Buddicom…
En 1913, la décision de construire plus loin, à « Quatres-Mares », est prise.

Construction des ateliers Quatre-Mares à Sotteville-lès-Rouen

▲ Construction des ateliers Quatre-Mares. C’est un grand bâtiment unique, plus fonctionnel que ceux de Buddicom

En 1917 débute, à Quatre-Mares, l’assemblage et la réparation des premières locomotives par les Anglais. Ce sont eux qui ont terminé les travaux. Fin 1919, les anglais partis, l’outillage ainsi que 900 des 2620 cheminots que comptaient Buddicom de la section entretien des locomotives, sont transférés vers le nouveau site pour commencer la réparation des locomotives de la région Ouest. En 1941, cette activité est étendue aux locomotives de la France entière.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les installations ferroviaires sont occupées par l’armée allemande. Afin de préparer le Débarquement en handicapant ses déplacements, les Alliés bombardent la zone, mais, malheureusement, la ville aussi, qui sera détruite aux deux tiers.
Les ateliers Quatre-Mares ne sont plus en état de fonctionner correctement à la Libération. La première locomotive est réparée en 1945. La reconstruction complète et la modernisation des bâtiments de production dure jusqu’en juillet 1947. Mais ce n’est qu’une fois les autres ateliers et locaux administratifs terminés en 1950 que le rythme de travail normal est revenu.

Plus exposés, les ateliers Buddicom ont subi des bombardements plus intenses et sont devenus inutilisables. Des travaux de reconstruction et une ambition de modernisation ont bien lieu entre 1945 et 1953, mais c’est un échec par manque de moyens. On a surtout paré au plus urgent. La surface des bâtiments est considérablement réduite et les ateliers ne comptent plus que 850 agents en 1954. Dans les années 50-60, la réparation des wagons est transférée aux ateliers du « Petit Entretien » accolé au triage. En 1956, la fonderie ferme et, malgré de nouvelles petites activités, c’est le début du déclin. Le 1er janvier 1970, Buddicom est rattaché à Quatre-Mares et, en février 1991, toutes les activités ont cessé.

Fermeture de la fonderie de Buddicom en 1956 - Sotteville-lès-Rouen

▲ Fermeture de la fonderie en 1956. Photo symbolique, marquant le déclin des ateliers Buddicom, qui n’ont jamais repris leur activité d’avant-guerre

La chaudronnerie de fer, un des rares bâtiments préservé de Buddicom, a droit à une deuxième vie : il est occupé, à partir de novembre 1998, par l’Atelier 231, en hommage au modèle de locomotive réparé jadis dans ces lieux. Base arrière du festival Viva-Cité, c’est surtout un espace de création et de résidence des compagnies de théâtre de rue.

Les locaux du Pacific Vapeur Club jouxtent ceux de l’Atelier 231. Cette association entretient, entre autres, la locomotive à vapeur « Pacific 231 G 558 » datant de 1922.

 Pacific 231- Sotteville-lès-Rouen

▲ Les mécanos du Pacific Vapeur Club admirant la Pacific 231 lors des Journées du Patrimoine 2015. Elle est aujourd’hui entièrement démontée pour entretien.

Le dernier train à vapeur circule sur Paris-Le Havre le 19 septembre 1966, le diesel et l’électrique ayant pris le relais depuis 1958. En décembre 1967, la ligne Paris-Le Havre est totalement électrifiée.

En 1992, Quatre-Mares devient l’atelier directeur de toutes les séries de locomotives diesel de grande puissance de France. Ses autres activités sont : la réparation des locomotives de manœuvres et des grosses pièces mécaniques, comme les essieux et les boggies, la déconstruction du matériel de traction en attente sur le « Cimetière des locomotives », la réparation des nez de TGV en polyester.
Le Technicentre Rouen-Quatre-Mares constitue encore aujourd’hui l’un des principaux établissements industriels de maintenance du matériel de la SNCF.

 Le nouveau technicentre « Lignes Normandes » - Sotteville-lès-Rouen

▲ Le nouveau technicentre « Lignes Normandes » vu du pont de Quatre-Mares

En 2018, la Région Normandie et SNCF Mobilités construisent un nouveau technicentre. C’est un atelier de maintenance pour les nouveaux trains, plus longs, OMNEO et TER circulant entre Paris et la Normandie : 6 voies intérieures, 7 voies extérieures. La première rame y est entrée le 13 février 2019. Le 30 juin 2020 est inaugurée la deuxième phase de travaux comportant 4 voies supplémentaires.
Ce technicentre remplace le Dépôt des locomotives, devenu incommode pour y disposer des rames de plus en plus longues. Il a été démoli pendant l’été 2023.

Schéma des infrastructures ferroviaires SNCF à Sotteville-lès-Rouen

▲ Si vous êtes un peu perdu avec tous les noms cités dans cet article, tout devrait s’éclaircir avec ce petit schéma ► Agrandir

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